Manager dans l’incertain.
01 Mar 2017
Article written by Vincent Halluent
01 Mar 2017
Article written by Vincent Halluent
“We didn’t do anything wrong, but somehow, we lost.” Stephen Elop, ancien CEO de Nokia, après le rachat de Nokia par Microsoft.
Si vous avez déjà assumé la responsabilité de mettre en place une batterie de changements, cette situation ne vous est pas étrangère.
Gérer l’incertain consiste souvent à analyser l’ensemble des risques associés, qu’ils soient financiers, opérationnels ou autres… Ces analyses contribuent à la prise de décision et peuvent aider à baisser le niveau d’anxiété lié à l’incertain. Cependant, qui est aujourd’hui capable de mesurer les risques de crise financière ? Qui peut mesurer les risques opérationnels auxquels sont confrontées les entreprises dans un contexte d’attentats ?
De l’incertitude naît l’anxiété et de l’anxiété naît la résistance. Plus le niveau d’incertitude est élevé, plus les résistances viennent bloquer toute tentative de transformation. Les leaders se trouvent pris en étau entre les impératifs de leur mission de transformation et les inimitiés qu’elle leur garantit.
La difficulté est bien réelle et il n’y pas de contournement possible. Une étude menée auprès de plus de trois cents leaders a montré que la résistance des employés constitue le premier obstacle perçu à la conduite de projet de transformation. Mieux, elle est citée cinq fois plus que n’importe quel autre facteur. Il est donc impératif de s’outiller rapidement pour en juguler les effets. C’est en effet la capacité adaptative de l’organisation qui garantira sa compétitivité. Cette capacité doit faire partie de l’ADN des organisations, non seulement pour faire face aux transformations internes mais également pour favoriser les changements de comportements de ses propres clients.
Quelle est donc la meilleure stratégie ? Tenter d’éviter les erreurs en renforçant les analyses de risque ou faire mieux que vos concurrents en intégrant le change management dans l’ADN de l’organisation ?
Résistance(s) ?
La résistance au changement n’est pas une réalité monolithique. Elle revêt des formes plurielles, qui appellent autant de réponses différentes. Prenons le cas d’une entreprise qui souhaite emménager au sein d’un nouveau campus. L’augmentation du temps de trajet soulève généralement de nombreuses inquiétudes. Les causes de la résistance sont ici réelles et de nature logistique. Il est donc possible d’imaginer des mesures compensatoires tout aussi concrètes, lesquelles vont du télétravail à l’augmentation salariale. Les solutions « RH » ne sont toutefois pas la panacée dès lors qu’on fait face à des résistances de type socio-affectives imaginaires. L’annonce d’un transfert géographique de la capitale vers une province distante provoque des réponses émotionnelles de la part de certains employés qui peuvent y voir d’emblée une dégradation de leurs conditions de travail, voire une volonté de réduire les effectifs. En effet, qui peut prédire, par exemple, que l’ambiance sera moins bonne en province ? Verbaliser les craintes de façon collective et confronter les points de vue facilite le travail de transition en relativisant les doutes des uns par rapport aux autres. On peut enfin citer une troisième forme de résistance, de type symbolique. Dans le cadre d’une réorganisation d’ampleur, rejoindre un open space après avoir occupé un bureau personnel est parfois assimilé à une perte de prestige et de reconnaissance sociale. Elle peut être raisonnablement compensée par d’autres symboles d’autorité. De façon générale, cet exemple illustre la nécessité de déconstruire le problème de façon systématique en définissant des niveaux et des types de résistances, puis en y apportant des solutions.
Forcer le changement.
Provoquer un sentiment d’urgence et s’assurer que l’écart en terme d’apprentissage (c’est-à-dire entre ce que quelqu’un est capable de faire et ce qu’on attend de lui) peut être comblé sont deux facteurs primordiaux pour lutter contre les résistances émergentes. Les employés (et les managers) ne sont pas facilement disposés à abandonner un processus de travail bien rodé ou transformer un produit qui rencontre suffisamment de succès. Au fond, pourquoi chercher à réparer ce qui est en parfait ordre de marche ? John P. Kotter, spécialiste du changement et professeur à Harvard, a avancé la notion de « burning platform » pour décrire une situation (managériale) où il n’existe aucune autre solution de survie alternative que celle de sauter dans le vide, et donc de provoquer le changement. Mais créer une burning platform a pour effet secondaire d’augmenter l’anxiété d’apprentissage chez certaines personnes qui se posent la question de savoir si elles seront capables d’adopter les nouveaux comportements ou compétences attendus. La création de cette burning platform doit donc forcément s’accompagner d’une offre satisfaisante en termes d’apprentissage et de coaching pour les équipes. Rien ne sert de générer une situation d’urgence si les employés se trouvent démunis face à l’ampleur du changement et des compétences requises pour le mettre en oeuvre. Tout est question d’équilibre entre exigences immédiates et capacité d’apprentissage.
« Who’s who » et comment réagir ?
Les comportements attendus face au changement au sein d’une organisation suivent une distribution gaussienne. Le graphique ci-dessous répartit et quantifie les quatre grands types de réactions probables en contexte d’incertitude. Au sein d’une équipe de 100 personnes, 40 d’entre elles emboîtent le pas à un groupe réduit de 10 « champions de l’innovation ». 40 autres s’installent au balcon en observateurs. Les 10% restants constituent le groupe des opposants idéologiques au changement.
Les leaders doivent être en mesure d’offrir des réponses adaptées à ces différents types de public de façon à éviter que les doutes (et donc les résistances) ne se diffusent au sein de l’organisation. Moteurs du changement, les profils du premier type doivent être cooptés au plus vite et récompensés en conséquence. Il en va de même pour les supporters ou adeptes précoces. Attentiste, le troisième groupe peut consolider les trajectoires de transformation, ou à l’inverse, les briser net. Il requiert donc la même attention que l’ensemble des votants indécis dans le cadre d’une élection. Echouer à convaincre les hésitants peut provoquer un basculement numérique vers la droite de la courbe, faire gonfler les rangs de l’opposition et donc rigidifier l’organisation. Par contre, et bien que cela puisse sembler contre-intuitif, déployer des trésors argumentaires face aux opposants idéologiques est particulièrement dangereux ̶ et inutile puisqu’ils s’opposeront d’office. Il s’agit ici d’éviter l’effet d’appel que peut vraisemblablement provoquer un investissement excessif auprès des réfractaires. Les attentistes peuvent être en toute logique tentés de s’opposer de façon à ce qu’on leur accorde davantage d’attention. Au-delà des mesures traditionnelles de recadrage, licenciements et réaffectations sont parfois nécessaires pour gérer les réfractaires et leur forte capacité de nuisance, étant donné l’impact qu’ils ont sur le reste de l’organisation. Systématiques ou à titre d’exemple, ces mesures relèvent évidemment du cas par cas (stabilité financière de l’entreprise, résultat des mesures de recadrage, secteur privé ou public,…).
La résistance au changement est le premier frein à tout projet de revitalisation d’une organisation. Rendre la structure plus souple ou la dégager du statu quo requiert des efforts substantiels. Environ 10% du budget de transformation devrait idéalement être alloué à la gestion du changement (étude PROSCI). Pour mettre vos équipes en marche, anticipez les résistances et « créez » des circonstances favorables entre urgence, soutien et gratifications.
D’autres solutions face à l’incertain.
Au-delà de la professionnalisation en change management et de la gestion des résistances et des résistants, il est impératif de concentrer les efforts des collaborateurs sur le « certain dans l’incertain »: les clients ! La vente continue pendant les travaux.Ensuite, si on ne connaît pas précisément le futur, il y a lieu de le dire explicitement aux équipes et de les rassurer sur le processus qui, lui, doit être clair.
Enfin, il est difficile de savoir si une décision est bonne au moment-même où on la prend ; seul le futur pourra le confirmer ou l’infirmer. Dans l’incertain, c’est encore plus vrai et ce sont les leaders qui commencent à douter… La solution est d’être proche du terrain et des équipes pendant les transformations. Il est impératif de les écouter et de communiquer ouvertement, y compris ses propres doutes, car au final, montrer l’exemple c’est aussi montrer sa vulnérabilité.
En se concentrant sur les individus et les équipes, le change management permet de détecter les situations de saturation et fournir des solutions sur mesure.
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