Passage au travail hybride : comment ADP et Otis ont conduit le changement.
10 Novembre 2021
Article written by Renaud de Lombaert
10 Novembre 2021
Article written by Renaud de Lombaert
Le processus d’hybridation suppose le passage au télétravail et dans certains cas, la création d’un Flex Office. Nous nous sommes entretenus avec Otis et ADP pour mettre en lumière la façon dont le virage peut se négocier sur le terrain.
1. Les sponsors peuvent faire ou défaire le changement. Leur rôle est essentiel mais les déficiences en matière de sponsorship sont communes. Le cas d’ADP met en évidence le rôle des praticiens du changement, non pas comme substituts aux leaders dans le parrainage du changement, mais comme forces d’appui. Si les experts n’ont pas l’autorité des leaders ni une position proche du terrain, une relation de travail étroite avec les managers peut catalyser les initiatives et agir comme moteur du changement.
2. L’importance d’une communication bidirectionnelle dès les prémices du projet est particulièrement évidente dans le cas d’Otis. Il ne s’agit pas d’appliquer un ensemble de recettes, mais de faire preuve de créativité pour établir des boucles de rétroaction et communiquer de façon efficace. Coopter les bon “influenceurs” et trouver le bon ton peut avoir un impact significatif sur l’adoption.
En cherchant à cocréer l’environnement de travail de demain avec les managers et les collaborateurs impactés, tant ADP qu’Otis ont favorisé la prise de conscience et construit une véritable volonté de changement, posant ainsi des bases solides pour opérer avec succès la transition culturelle (voir ADKAR model).
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Personne ne peut contester le fait que le lieu de travail, autrefois si familier, est rapidement devenu un territoire à reconquérir, ou plutôt à réimaginer tant dans ses dimensions physiques que virtuelles. Dans une marche inexorable vers la rationalisation des espaces de travail, les bureaux sont partagés, délocalisés et, dans les scénarios les plus extrêmes, voués à disparaître dans un avenir proche. Le travail à distance fait désormais partie de la « nouvelle normalité », et s’appuie sur des accords multiformes. Quoi qu'il en soit, les changements induits par Covid-19 laisseront forcément une trace durable.
Cultiver l’engagement dans des environnements virtuels, décentralisés et anonymisés est rapidement devenu une priorité de la gouvernance d'entreprise. Et tant les dirigeants que les praticiens du changement (Change Managers) sont confrontés à la tâche difficile de transformer ces changements en pratiques durables, rentables … mais surtout humaines.
Rien ne doit être laissé au hasard. Le basculement dans le travail hybride doit être planifié et organisé. Le(s) cas d'Aéroports de Paris (et) d'Otis nous donne(nt) un aperçu des premières réponses formulées sur le terrain. Deux cas inspirants qui ont certainement de quoi alimenter la réflexion collective.
"Environnement de travail hybride", "semaine de travail flexible", "Flex Office" : de nouveaux termes font surface à mesure que les politiques postpandémiques sont conçues et mises en œuvre. Mais le modèle hybride – si tant est qu’il existe - n'en est qu'à ses débuts. Les récits sont ponctués d’essais et d’erreurs, et chaque organisation possède ses propres spécificités. ADP et Otis nous donnent un exemple de la manière dont le virage peut se négocier en termes de télétravail ou d'utilisation de l'espace.
Du télétravail ad hoc au travail hybride de facto... ADP (Aéroports de Paris) initie le passage au travail à distance dès 2017, à la suite du déménagement du siège social. Les accords préexistants à la crise étaient conçus comme "encadrants mais non enfermants". En d’autres termes, ils fournissaient moins un cadre rigide que des lignes directrices encourageant de nouveaux modes et logiques de travail. Dans les faits, les collaborateurs ont d'abord eu la possibilité de travailler à distance un jour fixe par semaine ou deux jours ajustables par mois, avant que l'accord ne soit révisé pour autoriser de nouvelles extensions. L’organisation a longtemps évité d'utiliser le terme "travail hybride". Il s’agissait avant tout de transformer l’essai et de cocréer le lieu de travail de demain, sans imposer dans (et par) le discours une vision que les collaborateurs n’avaient pas encore adoptée. Puis la crise du Covid-19 a éclaté et poussé davantage de personnes au télétravail. La conjoncture « a ouvert les vannes », consolidant les acquis des tentatives précédentes et attirant davantage de personnes dans un mouvement d’élargissement des rotations. La devise devenait progressivement "si nous l’avons déjà fait, nous pouvons le faire de nouveau". Pour Aéroports de Paris, cela signifiait passer d'une approche ad hoc, basée sur l'individu, à une réflexion collective sur la manière d'organiser efficacement les équipes. Le terme hybride a enfin été introduit dans un webinaire dédié, témoignant de l'importance de ce changement.
... vers un Flex Office. Au sein du siège central d’Otis France, le processus d'hybridation a donné naissance à un projet de Flex Office qui reflète l'impact de la crise sur l'utilisation de l'espace au-delà de l'émergence du travail à distance. Otis a ainsi défini plusieurs " points d'ancrage " ainsi qu'un "flex ratio", puis en a déduit le nombre d’espaces « personnels » à conserver (en partant du modèle préexistant d’open space). Les surfaces restantes ont été transformées en espaces collectifs, en un grand "espace de convivialité" par étage et en espaces de rangement personnel ("espace casiers"). Si le projet est né d'un besoin stratégique, il a aussi évolué en fonction des besoins des personnes. Otis a très rapidement mis en place des boucles de rétroaction, impliquant des commissions de collaborateurs et de managers, des syndicats, et un réseau d’« ambassadeurs », lesquels ont servi de points de contact et de relais pour discuter des aspects pratiques de l’initiative.
Si l'histoire d'ADP commence par des politiques d’encouragement, celle d’Otis met également en évidence l’effort d’implication des personnes impactées dès les prémices.
Le changement n’a jamais rien de facile, et les situations de crise multiplient les défis. La conduite du changement basée sur les rôles (role-based Change Management) souligne l'importance des sponsors, des managers et des praticiens de la conduite du changement (Change Managers) tout au long du processus. Mais sur le terrain, les mécanismes d'adaptation révèlent également une plus grande dépendance à l'égard des experts en conduite du changement pour soutenir les sponsors, une difficulté et nécessité accrue d’obtenir l'adhésion des managers et l'émergence de figures idiosyncratiques pour promouvoir et cascader le changement.
Les experts en CM, également sponsors du changement. Dans le cas d'ADP, les Change Managers ont joué un rôle particulièrement actif (A) et visible pour assurer la progression des initiatives de changement. Ils ont par ailleurs très largement participé à la construction (B) d'une coalition de soutien et veillé à communiquer (C) directement avec les employés (ABC). ADP a pu soutenir le projet de changement en tirant parti d'un réseau de managers déjà favorables à la mise en place du télétravail. Et grâce à un dialogue continu avec les collaborateurs, les responsables de la conduite du changement ont pu proposer des solutions sur mesure qui répondaient aux besoins des personnes (un écran complémentaire pour travailler à domicile, plusieurs rythmes de travail à distance pour s'adapter à une main-d'œuvre fonctionnellement diverse, etc…), avec un effet d’entraînement sur les taux d’adoption. Les enquêtes subséquentes ayant montré une convergence de vues entre les personnes concernées, les syndicats et la direction quant à l’intérêt du projet, le changement semblait être bien engagé.
Réaffirmer l'importance du manager. La principale leçon à tirer de l’expérience d’ADP est le rôle essentiel des managers en tant que moteurs du changement. Otis souligne en outre la nécessité de leur donner une plus grande visibilité en tant que première personne ressource pour toute question d’ordre pratique et personnel. Les collaborateurs se tournent en effet parfois vers le CM pour obtenir des réponses à leurs questions. Or ce sont les managers de proximité qui doivent pouvoir assurer la liaison avec les employés de première ligne et faciliter les transitions individuelles. Mais comme l'indique Otis, obtenir leur adhésion reste un défi de taille. La crise a par ailleurs amplifié les besoins en termes de soutien aux managers. L'accélération du processus de digitalisation s'est avérée difficile à gérer d'un point de vue opérationnel (partage de documents, communication hybride et difficulté à capter les signaux non verbaux). Des préoccupations similaires ont été exprimées au sein d’ADP, qui évoque la question du maintien de la cohésion des équipes et des liens faibles.
Les « ambassadeurs » comme figures créatives de la conduite du changement. Otis a développé un réseau d' « ambassadeurs » chargés de faciliter la mise en œuvre du Flex Office et promouvoir le changement. L’organisation a désigné une personne par « point d'ancrage » ou Direction pour assurer la liaison avec les collaborateurs sur place, ainsi qu’avec les dirigeants et le Change Management. Il est intéressant de noter qu'il ne s'agissait pas du Directeur ou responsable exécutif mais d'un collaborateur expérimenté ayant une véritable influence et des compétences avérées en matière de leadership. Ces ambassadeurs ont également aidé les collaborateurs à se familiariser avec le nouvel espace. En un sens, ils jouent un rôle original qui vient en appui des figures plus traditionnelles du CM, en s’assurant que le Change Lead et les managers qui endossent les missions dites CLARC (Communicator, Liaison, Advocate (Défenseur), Resistance Manager, Coach) puissent compter sur les feedbacks nécessaires.
Au sein d’ADP et d’Otis, la gestion du processus d’hybridation a donné lieu à de nombreuses initiatives. Bien que nous ne puissions pas toutes les signaler, les actions suivantes ont certainement de quoi retenir l’attention.
Otis : sessions spéciales dédiées aux managers et workshops ciblés. Pour répondre à la nécessité d'apporter un soutien supplémentaire aux managers et expliquer le projet Flex Office, Otis a organisé des sessions spéciales en direct. Ces sessions se sont déroulées parallèlement aux discussions entre le réseau d'ambassadeurs et les employés. En outre, deux ateliers pilotes ont été organisés pour recueillir les préoccupations spécifiques des managers. Il est toutefois important de noter que si le Flex Office constitue un nouveau virage, c’est le passage au télétravail qui semble avoir eu le plus d’impact sur la façon dont les managers sont appelés à jouer leur rôle. Déjà bien outillée en matière de conduite du changement, Otis a également pu compter sur les enseignements de PROSCI en matière de gestion des équipes dans le cadre du changement.
ADP : outil organisationnel natif pour les managers et formations multithématiques. Think Time est sans doute l'un des éléments les plus originaux de l’arsenal des outils déployés chez ADP. Conçu en interne, il vise à aider les managers à organiser le travail à distance et résoudre les problèmes pratiques de manière structurée. Think Time permet aux managers d'échanger et d'identifier quelles activités structurantes doivent être réalisées en équipe et quelles sont celles qui peuvent être réalisées à distance. Une fois la réflexion collective finalisée, chaque collaborateur spécifie ce qu’il peut réaliser à distance et à quelle fréquence. Sur le plan des formations, ADP a également organisé plusieurs webinaires couvrant un large éventail de sujets, tels que l'intelligence émotionnelle, la communication hybride, la gestion hybride, la gestion de la résistance et l’intégration de la notion d’incertitude.
Suivi des progrès de manière formelle et informelle. ADP a mené des enquêtes à plusieurs reprises pour mesurer l'adhésion des collaborateurs aux mesures de travail à distance et fixer de nouveaux objectifs. Les mesures de soutien aux managers ont par ailleurs facilité la collecte d’un feedback qualitatif. Il en va de même pour Otis, qui a mené des interviews et intégré les retours obtenus auprès des ambassadeurs désignés.
Prise de conscience et volonté de changer sont les premiers éléments constitutifs du changement. Quelle que soit la qualité des outils ou le niveau de formation des personnes pour mettre en œuvre le changement, les mesures peuvent échouer, voire être contreproductives, si la prise de conscience (Awareness) et la volonté (Desire) font défaut. L'approche d'ADP - et les premiers succès enregistrés - nous le rappelle clairement. L'organisation a évité tout "dogmatisme en faveur de positions plus ouvertes" afin de s'assurer que les collaborateurs soient réellement sensibilisés, prêts à adopter des mesures de travail à distance plus extensives et capables d'intégrer ces nouvelles modalités organisationnelles à leur propre rythme.
Communication et écoute, au cœur du dispositif. Selon Otis, des processus clairs et des règles expliquées en termes simples se traduisent en général par une diminution des besoins en termes d'accompagnement (l’étape de construction du bloc Connaissance ou « Knowledge » est ici également fondamentale). Mais le principal facteur qui a pu aider les collaborateurs à accepter la nouvelle "donne" reste probablement le fait que l’organisation a cherché à cultiver le dialogue, à intégrer rapidement les retours d'informations et adapter les mesures en conséquence. La communication a également été essentielle pour juguler les premières résistances face au processus d'anonymisation de l'espace. Otis n'a d’ailleurs pas hésité à sortir des chemins battus. L’entreprise a publié un bulletin d'information bihebdomadaire au ton décalé pour établir les règles du Flex Office ("le matériel informatique ne doit pas être débranché") et déclencher le cycle d'acculturation. Les efforts d'ADP font écho à ceux d'Otis ; ils mettent en relief l'importance d'une écoute attentive des managers, lesquels doivent comprendre l’importance de faire de même avec leurs équipes compte tenu de la nature dynamique du projet et de l'évolution rapide du contexte.
S’appuyer sur la culture ou sur des initiatives en cours. ADP rappelle toutefois que la communication seule est une condition nécessaire mais non suffisante. Des obstacles inconscients peuvent subsister et rester particulièrement difficiles à surmonter. Tirer parti des traits culturels préexistants - une partie du personnel était habituée à se déplacer entre Roissy, Orly et Le Bourget - et des expériences en matière de télétravail a certainement été essentiel pour faciliter "organiquement" l'adoption.
Le mot de la fin est peut-être là : le processus d'hybridation doit être traité comme un changement culturel, un changement caractérisé par sa lourdeur en termes de défis humains. Comme le note ADP, il est facile de céder à l’urgence des défis techniques, de traiter ces aspects en priorité et de négliger le volet humain du changement. Mais la crise nous pousse aussi à repenser en profondeur le lieu de travail. Et, qu'on le veuille ou non, cela entraîne une refonte de pans entiers de la culture organisationnelle. Si les outils et les ressources en matière de conduite du changement ont pu faire défaut dans les premiers temps, il est maintenant essentiel de "penser à long terme" et de développer de véritables capacités organisationnelles pour gérer les changements, en cours et à venir.