Retour au travail dans l'après Covid-19 : L'importance de définir l'impact du changement.
23 Juni 2020
Plus le niveau de granularité de votre analyse d´impact sera élevé, plus nombreux seront les avantages.
Article written by Renaud de Lombaert
23 Juni 2020
Plus le niveau de granularité de votre analyse d´impact sera élevé, plus nombreux seront les avantages.
Article written by Renaud de Lombaert
Dans un billet précédent, nous avons insisté sur l´utilité de la carte d´empathie dans des situations de crise telles que celle du Covid-19. Les organisations sont aujourd´hui confrontées à la tâche urgente de repenser l´espace de travail pour répondre aux nouvelles normes sanitaires. Nombreux sont ceux qui ont exprimé leurs préoccupations quant au nouvel environnement professionnel. Définir très clairement l´impact du changement et cocréer la feuille de route avec les collaborateurs est un gage de mobilisation. Outil essentiel de la conduite du changement, l´évaluation d´impact vous aidera à répondre efficacement aux défis organisationnels liés à la crise du Covid-19.
Un bref sondage auprès des participants à l´un de nos récents séminaires laisse peu de place au doute quant aux avantages potentiels d´une mise en lumière structurée de l´impact du changement : moins de résistance passive et de rejets, plus grande efficacité et probabilité de succès, renforcement du changement, meilleure implication, création de sens…, etc. Voici bien des termes qui plaident en faveur de l´exercice d´évaluation.
Mais concrètement, comment procéder ? Notre partenaire PROSCI a identifié 10 aspects du travail qui peuvent être impactés par le changement à des degrés divers, et affecter vos collaborateurs : (1) processus, (2) systèmes, (3) outils, (4) rôles, (5) comportement(s) critique(s), (6) état d´esprit, attitudes, croyances, (7) structure hiérarchique, (8) évaluation de la performance, (9) rémunération, (10) localisation.
Définir l´impact du changement signifie analyser en quoi « l´état futur » sera différent de la situation actuelle pour chaque aspect. Utilisez le graphique qui accompagne cet article pour dresser un tableau avant/après du changement (qualitatif) et assignez une valeur quantitative à chaque ligne. Vous obtiendrez une image très claire de la portée et de la magnitude du changement, laquelle fournira une base solide à la prise de décision. Mais quid des spécificités de la crise du Covid-19 ? La réforme urgente de l´espace qu´exige le retour au travail donne évidemment un poids tout particulier à l´aspect « localisation ». Pour asseoir les nouvelles mesures, mais aussi pour éviter un simple retour au statu quo sans une véritable exploration des possibilités découlant d´une normalisation du télétravail, les processus et comportements critiques[1] doivent être réexaminés. Il va enfin sans dire que l´état d´esprit est également un facteur décisif pour faire face à l´accélération des changements et au climat d´incertitude.
Le changement en tant qu´impératif et opportunité. Le retour au bureau n´est pas une évidence pour tout le monde. C´est ce que montrent plusieurs enquêtes récentes. À l´échelle globale, Hays[2] signale que la crainte d´une possible contagion reste une préoccupation majeure pour un tiers des répondants. Une proportion similaire des enquêtés s´attend par ailleurs à plus de flexibilité. Au niveau belge, le télétravail imposé par les mesures de lutte contre le Covid-19 a pu tester l´engagement et la motivation des collaborateurs extra-muros, révélant un gain global de productivité (étude BDO)[3]. Selon le Centre Émile Bernheim de l´Université Libre de Bruxelles (ULB), 9 employés sur 10 « veulent pouvoir travailler de chez eux un à trois jours par semaine » [4]. Un chiffre particulièrement significatif étant donné que « près 6 Belges sur 10 n´avaient pratiquement jamais travaillé de chez eux » avant l´éclatement de la crise sanitaire[5]. Repenser l´espace de travail dans toutes ses composantes, à la fois physiques et virtuelles, n´est pas seulement un impératif, c’est aussi une opportunité de transformation en profondeur.
Poser les bonnes questions. Le fait que les processus préexistants aient été temporairement transposés dans un environnement de travail virtuel ne signifie pas qu´un retour rapide à la normale – situation de « normalité » à laquelle on aura évidemment procédé aux ajustements réglementaires – soit souhaitable. Comme le souligne McKinsey dans un récent papier d´analyse[6], les organisations doivent « reconstruire la façon dont elles travaillent » en définissant ce qui peut être réalisé à distance avec un gain de productivité, et en dégageant les avantages potentiels du développement d´un environnement hybride. Ce processus de déconstruction/reconstruction peut contribuer à améliorer la collaboration et la productivité, à faire progresser la culture organisationnelle et à réduire les coûts. En pratique, il s´agit d´établir quels rôles sont par définition présentiels – en tout ou en partie –, et quels sont ceux qui peuvent être basculés en télétravail, compte tenu, notamment, du cycle de vie du projet. De cette première réflexion découleront forcément de nouvelles interrogations. « Comment soutenir les types d´interaction qui ne peuvent pas avoir lieu à distance ? » « Quels sont les besoins réels en termes d´espace, en ce inclus la ou les localisations précises ? » Cet examen prospectif doit guider l´effort de réaménagement et de redimensionnement de l´espace physique.
Nouveaux modes opératoires et nouvelles règles, effectivement mis en œuvre. Parmi les comportements critiques et processus impactés par le changement, on trouve évidemment les pratiques de mobilité dans l´espace de travail. BNP Paribas Fortis offre un exemple intéressant de l´éventail des mesures proposées pour garantir la sécurité de son personnel et de ses clients[7]. En plus de la mise à disposition de gel hydroalcoolique et de masques – de 3 à 4 par personne et par jour –, des aménagements spéciaux ont été pensés pour assurer les règles de distanciation sociale, soit moins de personnes in situ et plus de flexibilité sous la forme de rotations du personnel, segmenté en trois groupes. Les employés de chaque groupe doivent prester une semaine sur leur lieu physique de travail et télétravailler les deux suivantes. Le marquage au sol et les panneaux signalétiques, ainsi que les plexiglas à l´accueil des agences et dans les call-centers, réorganisent la circulation et régulent les interactions. Etant donné que 80% du personnel travaillant au siège social de Bruxelles dépend directement des transports publics, les arrivées sont échelonnées pour éviter les agglomérations matinales. Mais quelle que soit l´efficacité théorique des mesures, et malgré la mise à disposition d´outils et de ressources, le respect des règles ne peut être garanti que si celles-ci sont accompagnées d´actions de renforcement sur le plan comportemental. Interpeler un supérieur ou un client qui n´observerait pas les règles, comme l´adoption du masque, n´a par ailleurs rien de facile et constitue par conséquent un véritable obstacle à la mise en œuvre effective des règles[8]. Selon Grenny (2020), chercheur et spécialiste en performance des organisations, le plan de gestion doit donc activer d´autres sources d´influence du comportement humain : un cadre moral solide, une pratique délibérée (des changements), la pression des pairs et l´autorité hiérarchique, le soutien social et le suivi noté des progrès.
Managers? Gérez activement le bien-être de vos collaborateurs… Il n´est pas possible d´aborder la gestion des comportements et attitudes en temps de crise sans mentionner les défis qui se posent sur le plan du coaching. Proches des employés qui œuvrent sur le terrain, les managers sont des acteurs clés du changement. Ce sont d´eux que doivent idéalement émaner les messages relatifs aux opérations quotidiennes. En plus de cette fonction critique de communication, ils sont appelés à endosser d´autres rôles : officiers de liaison, défenseurs du changement, gestionnaires de la résistance et coachs (rôles CLARC). On sait que le soutien social dans des circonstances de crise telles que celles du Covid-19 est essentiel. Il faut entendre par là « soutien émotionnel et incarnation / visibilisation d´un modèle positif (role modeling) » [9]. Pour Hammer et Haley (2020), deux chercheuses en sciences sociales et de la santé, offrir un soutien émotionnel peut signifier être disposé à discuter des questions professionnelles mais aussi de celles liées à la sphère privée, ou encore promouvoir les échanges virtuels pour « réduire la distance » entre le domicile, lieu de travail de facto, et le bureau. Quant à la nécessité pour les managers d´incarner un modèle positif, il s´agit en somme de provoquer des comportements en miroir. Les managers doivent définir leurs propres limites et les communiquer de façon très claire, ce qui encouragera les autres à faire de même. Enfin, en se tenant informés et à jour des règlementations sanitaires et des ressources destinées à promouvoir le bien-être des collaborateurs, les managers seront en mesure de fournir un soutien effectif.
… ainsi que les bonnes attitudes et état d´esprit. Nous avons évoqué l´efficacité toute particulière de la carte d´empathie pour stimuler les capacités d´écoute des managers. Le coaching doit s´appuyer sur une démarche de compréhension bienveillante. Parce que la carte d´empathie pousse à « se mettre à la place de l´autre », à imaginer les défis personnels et professionnels auquel il doit faire face, elle constitue une porte d´entrée particulièrement intéressante. C´est aussi une excellente occasion - sans être la seule – de discuter des bénéfices de pratiquer la gratitude. En tant qu´exercice conscient, la gratitude développe les capacités de résilience[10]. Les émotions positives facilitent l´exploration de nouvelles perspectives et la découverte de nouveaux mécanismes d´adaptation. Les spécialistes parlent d´un effet “d´élargissement et de construction”. Un avantage décisif dans des environnements turbulents et en mutation rapide….
Plus le niveau de granularité de votre analyse d´impact sera élevé, plus nombreux seront les avantages[11].
Vous pourrez définir plus facilement l´« aptitude ». Vous avez sans doute reconnu le second A de la méthode ADKAR (Awareness ou sensibilisation, Desire ou volonté, Knowledge ou connaissance, Ability ou aptitude, Reinforcement ou pérennisation). Le changement ne peut se produire que si la personne est consciente du besoin de changer et du danger du statu quo, qu´elle est décidée à opérer le changement parce qu´elle en a saisi toutes les implications personnelles, et qu´elle est suffisamment outillée pour l´implémenter. L´aptitude est la capacité manifeste à mettre en œuvre le changement, faire preuve du comportement attendu et obtenir les résultats requis. L´analyse d´impact est donc essentielle. Il est important de garder à l´esprit que, dans le cadre de la crise du Covid-19, les mesures doivent être mises en œuvre dans un délai extrêmement court. Les nouveaux modes opératoires doivent être adoptés en urgence. Les experts suggèrent par conséquent la mise en place d´une session pratique (bootcamp) qui introduirait les nouvelles règles (conscientisation) et comportements à adopter, tout en faisant office de répétition générale[12] (aptitude).
Vous en aurez besoin pour définir les indicateurs d´adoption. Il n´y pas d´approche structurée du changement sans un suivi et un reporting adéquat. Que doit-on entendre par « adopter suffisamment et utiliser efficacement » ? Comment mesurer les progrès et apporter les correctifs nécessaires ? On retient, parmi les conseils pratiques prodigués par les spécialistes et chercheurs, la mise en place de tournées aléatoires d´inspection, ainsi que l´affichage des taux de conformité – vert au-delà de 95%, jaune dans la fourchette de 80 à 95%, et rouge pour le reste[13], par exemple.
Vous obtiendrez plus d´implication de la part de vos collaborateurs. Cocréer la feuille de route du changement avec vos collaborateurs est la meilleure façon de les stimuler et de garantir un effort soutenu sur le long-terme. Les individus sont les unités constitutives du changement. Faut-il insister sur la nécessité de les impliquer dans le processus si l´on sait qu´il n´y a tout simplement pas de processus de changement possible sans eux ? Adopter une approche bottom up dans l´effort de réflexion facilitera très largement la reconstruction des modes de travail suggérée plus haut. Tout en élargissant et en nourrissant le vivier des idées, une telle approche participative est en mesure de générer des solutions qui seront à la fois plus pérennes et ancrées dans la réalité immédiate.
Vous découvrirez les angles morts. Si vous travaillez sur la seule base d´une macroanalyse de l´impact du changement - souvent par nécessité étant donné l´ampleur de la tâche -, vous risquez de négliger certains aspects du changement particulièrement importants pour vos employés. Le tableau présenté ci-dessous vous servira de loupe grossissante. Explorez chacun des aspects de façon individuelle, c´est le moment de « repenser et reconstruire ».
Parce qu´il faut personnaliser pour convaincre. Vous devez adapter votre intervention aux besoins de chacun des membres de votre public cible. Il convient donc de rassembler de l´information en suffisance et, pour en revenir à notre feuille de travail (voir graphique ci-dessous), de développer une meilleure compréhension de l´écart « hier-demain » pour chacun des employés. Utilisez aussi les résultats de la carte d´empathie pour documenter et enrichir votre analyse.
C´est le matériau brut du storytelling. Quand le message est développé au départ de l´expérience sensible, il est plus facile de faire preuve d´empathie. Ceci est d´autant plus important que le cadre moral est critique pour assurer la mise en œuvre effective des nouvelles normes. Illustrez les risques de non-conformité par la narration d´expériences (amis, famille, collègues, clients, …)[14]. Evoquez de façon la plus vivante possible comment les habitudes de travail vont changer et n´hésitez pas à construire des personnages qui guideront le récit.
Vous en aurez besoin pour calibrer votre intervention. Vous aurez forcément à répondre à la question « de quelles ressources CM avons-nous besoin ? ». Définir l´impact du changement, c´est définir le spectre d´action.
Nous n´insisterons jamais assez sur ce dernier point : vous développerez l´empathie. Les managers et chefs d´équipe ont tout intérêt à se livrer à l´exercice d´évaluation de l´impact du changement. Avoir une compréhension très précise de ce que leurs employés sont appelés à traverser leur permettra de mieux coacher et de développer une solution centrée sur l´utilisateur. De quoi accroître les taux d´adoption, tout en cultivant les liens interpersonnels et en recréant un espace collectif.
[1] Voyez les définitions proposées par PROSCI: https://www.prosci.com/resources/articles/defining-change-impact
Par comportements critiques, il faut entendre "la réponse essentielle ou cruciale d'un individu ou groupe à une action, un environnement ou une stimulation". Pensez à la façon dont un employé formule une réponse à client ou collabore, aux mêmes fins, avec d´autres départements.
[2] « L’envie de retourner au bureau est bien présente auprès de la moitié des travailleurs, à condition de bénéficier d’un maximum de flexibilité », People Sphere.be, 28/05/2020. Enquête menée par Hays avec 1400 répondants à l´echelle internationale. Voir : https://peoplesphere.be/fr/lenvie-de-retourner-bureau-bien-presente-aupres-de-moitie-travailleurs-a-condition-de-beneficier-dun-maximum-de-flexibilite/
[3] « Près de deux Belges sur trois veulent télétravailler au moins deux jours semaine », L´Echo, 22/04/2020. Enquête menée en Belgique par BDO avec 1000 répondants. Voir : https://www.lecho.be/dossiers/coronavirus/pres-de-deux-belges-sur-trois-veulent-teletravailler-au-moins-deux-jours-semaine/10222022
[4] Ibid. « Près de deux Belges sur trois veulent télétravailler au moins deux jours semaine », L´Echo, 22/04/2020.
[5] Chiffre avancé par BDO. « Près de deux Belges sur trois veulent télétravailler au moins deux jours semaine », L´Echo, 22/04/2020.
[6] « Reimagining the office and work life after COVID-19 », McKinsey – Insights, 08/06/2020. Voir : https://www.mckinsey.com/business-functions/organization/our-insights/reimagining-the-office-and-work-life-after-covid-19?cid=other-eml-alt-mip-mck&hlkid=a8b29b37643041a0b215575d58754ba6&hctky=2912293&hdpid=4256de30-f942-4b45-948f-9a5d81ac6e68
[7] « Max Jadot (BNP Paribas Fortis): "Il y a une peur à retourner travailler, il faudra rassurer" », L´Echo. Voir : https://www.lecho.be/dossiers/coronavirus/max-jadot-bnp-paribas-fortis-il-y-a-une-peur-a-retourner-travailler-il-faudra-rassurer/10223016.html
[8] Voir Grenny, J. « 5 Tips for Safely Reopening Your Office », Harvard Business Review, 05/05/2020. [online] https://hbr.org/2020/05/5-tips-for-safely-reopening-your-office?utm_medium=email&utm_source=newsletter_daily&utm_campaign=mtod_notactsubs
[9] Hammer H. and Lindsey, A. « Lead with empathy during the COVID-19 crisis », 17/04/2020. [online] https://theconversation.com/lead-with-empathy-during-the-covid-19-crisis-135175
[10] Taylor, S. and PROSCI (blog), “The power of gratitude”.
[11] Liste établie par PROSCI (blog), “Defining Change Impact”. Voir : https://www.prosci.com/resources/articles/defining-change-impact
[12] Voir Grenny, J. « 5 Tips for Safely Reopening Your Office », Harvard Business Review, 05/05/2020.
[13] Voir Grenny, J. « 5 Tips for Safely Reopening Your Office », Harvard Business Review, 05/05/2020.
[14] Voir Grenny, J. « 5 Tips for Safely Reopening Your Office », Harvard Business Review, 05/05/2020.
La carte d´empathie : un outil particulièrement utile en temps de crise
Parce qu´elle propose une exploration en profondeur des implications personnelles du changement et intègre les individus au processus, l´empathy mapping peut éveiller une véritable volonté de dépasser les résistances initiales.
Written by
Renaud de Lombaert
Comment assurer une cohésion suffisante avec les membres de nos équipes en télétravail ? Et comment continuer à les motiver, favoriser leur engagement et assurer une discipline ?
Written by
Anna Balk-Møller